Les Ailes du désir
Jean Reno en ange protecteur de Sharleen Spiteri. Un clip signé Vaughn Arnell qui rappelle Les Ailes du Désir de Wenders (1987)
Pyromanes de Bashung sur des images du film
Jean Reno en ange protecteur de Sharleen Spiteri. Un clip signé Vaughn Arnell qui rappelle Les Ailes du Désir de Wenders (1987)
Pyromanes de Bashung sur des images du film
Le dinosaure, échappé du Musée, rencontra le lézard qui n’y habitait pas encore. Et il lui dit : « Aujourd’hui c’est mon tour, demain ce sera le tien ! »
Et les bœufs dirent aux abeilles : « Allons ! ce n’est pas pour vous que vous faites du miel, ô ouvrières ! » Et les abeilles répondirent : « Allons ! ce n’est pas pour vous que vous tirez la charrue, ô bœufs de labour ! »
Voyez les lèvres de l’auteur, les paroles sacrées s’en échappent. Voyez le cœur de l’auteur, les choses sacrées s’y arrêtent.
Bref, bref, mes chers amis.
Un comte ; à la bataille du Mincio, ne fit rien, pas un seul mouvement. Il avait reçu l’ordre de rester sur place : ne pas bouger !
Fable qui dit de ne pas se décourager, car le mal n’est que passager.
Le Pôle Sud, à peine eut-il aperçu l’amiral Byrd, lui demanda des nouvelles du Pôle Nord. Fable nous apprenant qu’il nous arrive de nous souvenir de nos frères.
Dans la cohue d’une quinte ou d’une quarte, la dame de cœur fut accusée par le roi de pique d’avoir été vue en compagnie du valet de trèfle. « Pense aux cornes de ta propre couleur », lui dit à voix basse la belle.
La plume dit au panache : « A quoi es-tu bon, fanfaron ? » Et le panache répondit : « A te faire écrire mes louanges. »
Le crocodile était d’avis qu’on l’avait appelé ainsi pour lui reprocher de croquer. Petite fable pour dire que quand on est susceptible on raisonne faiblement.
L’aigle vola longtemps, longtemps. Avant de se percher sur le casque du Kaiser.
Le canari, voulant se lancer dans la critique, commença par se faire le bec sur un os de seiche.
La poule, avant même d’apercevoir l’œil de la vipère (dans sa tête couleur café), la foudroya d’un coup de bec. Cette fable en est la preuve : l’indignation, c’est foudroyant.
Ces Italiens, des frimeurs de soupirs.
Les dragées, c’est très bon pour les maux d’estomac, lit-on chez Dioscoride ; à condition qu’ils ne soient pas de plomb, ajouta en marge Cisalpino.
Un quidam, répondant au nom de La Fava, demanda à l’auteur d’écouter un poème que lui, ledit Le Fava, avait écrit sur la liberté.
« Je préfère l’esclavage », lui répondit l’auteur.
Un romancier présenta à l’auteur un de ses romans interminable.
« Je le lirai avec le plus grand intérêt », dit l’auteur.
« Merci », répondit le romancier.
Quand vint la guerre, le lapin se mit à dire: « En avant, les gars ! Allons-y, les gars ! » En l’absence de documents écrits, on ne peut en conclure vers quel chou il voulait aller. (1939)
Un cadavre de chien, pris dans un tourbillon, vit arriver un cadavre d’âne, qui se mit à tournoyer avec lui.
Et il s’exclama : « Quelle puanteur ! »
Comme le soir tombait, le moustique se réveilla ; et il entreprit de faire de l’esprit. Vers quatre heures du matin ce n’était plus un moustique, vu qu’une savate l’avait transformé en tache sur le mur.
Petite fable destinée aux beaux esprits à la petite taille ; à chacun d’eux on voudrait murmurer : « Patience ! »
Elle passait, la patiente caravane, au long de la piste sans fin.
Fable concernant les chameaux, les Arabes, les mulets, les chasseurs alpins et les fourmis encore en vie.
Un critique, ayant vu se coiffer une blonde, sollicita d’elle un cheveu.
« Pour quoi faire ? » lui demanda la belle d’un ton langoureux.
« Pour le couper en quatre », répondit le critique.
Le prince favorisa les arts : et les arts furent florissants. Mais le prince qui l’avait précédé avait lui aussi favorisé les arts, et les arts avaient été florissants. Alors ?
Une telle fable en témoigne : pour que les arts fleurissent sous le règne des princes, on n’en est pas à une bêtise près.
La vache milanaise, plus on la trait, mieux elle se porte.
Le puant, variété d’âne qui se dresse sur ses pattes de derrière au podium, étant parvenu à l’acmé de ses âneries et, par la faveur de Vénus, jusqu’à l’orgasme, on raconte qu’il éclaboussa de son amour de la patrie la foule abusée.
Cette petite fable nous le propose : du podium il faut se tenir aux antipodes.
Les habitants de Vit-la-Pointe, dans le canton de La Vulvée, vivent en paix.
C.E. Gadda (1893-1973)
Traduit de l'italien par Jean Pastureau
par Denis BILLAMBOZ
Le Mozambique a défrayé l’actualité pendant de nombreuses années quand les combats sanglants pour l’indépendance attiraient l’attention des nations occidentales mais la paix venue et la libération acquise, le monde a détourné les yeux vers d’autres drames sans pour autant que la violence cesse totalement dans cette nouvelle nation. Ces deux textes sont donc l’occasion de considérer la difficile situation de ce pays qui se construit lentement, dans la violence et la douleur, mais aussi de mettre en évidence ces voix littéraires tellement talentueuses qui s’élèvent au sud-est de l’Afrique et que nous n’écoutons pas assez même si Scholastique Mukasonga a attiré sur leurs œuvres , l’espace d’un prix littéraire, un peu plus de lumière.
L’accordeur de silences
Mia Couto (1955 - ….)
Une famille uniquement masculine, le père, ses deux garçons, un domestique et, épisodiquement, un oncle s’exile dans la forêt mozambicaine, dans un ancien camp militaire, Jesusalem (Jésus et alem, au-delà) comme le père l’a baptisé, où Ils doivent construire un monde nouveau vierge de tous les vices que l’ancien connaissait. « A Jesusalem, il n’y avait pas d’église, pas de croix. C’était dans mon silence que mon père érigeait sa cathédrale. C’était là qu’il attendait le retour de Dieu ». Le père perd un peu la tête, il ne se remet pas de la mort de sa femme, se comporte comme un véritable dictateur, décrète que le monde a disparu, qu’ils sont les seuls survivants de l’humanité, qu’il n’y a plus de passé. Il entraîne ses deux garçons dans cette réclusion pour fuir le monde, la guerre et ses malheurs, il quitte la ville croisant les gens qui fuient les campagnes ravagées par la guerre.
Le père ne sait pas aimer ses enfants qu’il emporte dans sa folie destructrice, les traitant sévèrement, comme un dictateur d’opérette. Le cadet des fils, le narrateur, apprend à lire sur des manuels militaires russes et à écrire sur les espaces vierges d’un jeu de cartes à jouer, en cachette du père qui ne veut pas que ses fils connaissent le passé, le monde extérieur, l’existence et la mort de leur mère. « Les Ventura n’avaient ni avant ni après. »
Il n’y a pas de femme au campement, la seule femelle est une ânesse qui satisfait les mâles besoins du père, jusqu’au jour où une femme blanche s’introduit dans le campement, dans ce monde d’hommes reclus, retirés du monde, recherchant le mari qui l’a abandonnée depuis longtemps déjà. Le huis clos est ainsi brisé, il y a un monde extérieur avec des femmes, des femmes dont le fils aîné a tellement envie et peut-être même besoin. L’exode n’a plus de sens, la famille regagne la société et les problèmes qu’elle y a abandonnés. « ….la laborieuse construction de Sylvestre Vitalicio volait en éclats. Finalement, il existait bien dehors un monde vivant et l’un de ses envoyés s’était installé au cœur de son royaume. »
Cette histoire un peu rocambolesque, à la limite du roman fantastique, fortement allégorique et symbolique est avant tout une ode à la beauté originelle d’un pays massacré par la folie des hommes, mais aussi une condamnation de la dictature et des pouvoirs autoritaires, un voyage initiatique vers un retour à une africanité mâtinée de saudade portugaise. Un texte qui traite de l’apparence des choses et des personnages (les faux noms par exemple) qui masquent une réalité que le père ne veut pas, ne peut pas, assumer cherchant à constituer un monde faux plus vraisemblable que le monde réel trop incroyable, trop inacceptable, qui l’a vécu.
Ce roman entre la légende et le conte africain, entre le témoignage et fiction fantastique, construit sur un échafaudage de paradoxes, d’oxymores, d’images, d’allégories, d’aphorismes, révèle une grande voix qui s’élève au sud-est de l’Afrique, une voix qui recrée une langue portugaise accommodée à la sauce mozambicaine, une langue poétique, riche, flamboyante pour un texte puissant, jouissif et novateur.
Neighbours
Lilia Momplé (1935 - ….)
Lilia Momplé ne supporte plus les violences faites à son pays et surtout aux femmes et aux enfants, elle prend la plume, comme d’autres prennent les armes, pour dénoncer le rôle joué par les tenants de l’apartheid dans ces abominations.
« Dans ce livre, inspirés de faits réels, je décris ce qui se passe à Maputo, dans trois maisons différentes, un jour de mai 1985, entre 19 heures et 8 heures le lendemain matin. » Narguiss, femme indienne délaissée par son mari, prépare la fête de l’Aïd avec ses filles qui ne se sont toujours pas mariées, Leia et Januàrio, un jeune couple noir, passent une soirée tranquille avec leur petite fille et Mena, une mulâtresse, voit avec inquiétude sont mari, un Mauricien, fomenter le mauvais coup qui fera la une des bulletins d’information du lendemain matin, avec deux noirs mozambicains et deux blancs venus d’Afrique du Sud. Volontairement, l’auteur a réuni dans ce fait divers dramatique mais hélas bien banal dans cette jeune nation en proie à toutes les misères endurées par la plupart des pays africains sur le chemin de l’indépendance, la quasi-totalité des ethnies présentes dans le pays. Elle veut ainsi montrer que le destin, tellement néfaste à ce pays, peut frapper n’importe qui, n’importe quand, avec l’aide et l’appui des forces de l’apartheid venues de l’encombrante voisine sud-africaine qui ajoute une couche supplémentaire à tout ce que ce pauvre pays doit déjà supporter.
Mais en fait, à travers ce fait divers qui va réunir ces trois groupes de personnes au cours de cette nuit de mai, c’est toute l’histoire du Mozambique, le difficile apprentissage de l’indépendance, que Lilia Momplé veut concentrer dans la vie des principaux protagonistes qu’elle met en scène. La lutte pour l’indépendance qui oppose la communauté noire qui ne supporte plus l’oppression, la brutalité, le mépris, l’exploitation et la discrimination et la communauté blanche qui veut garder le lien avec le Portugal et les biens accumulés au cours de la période coloniale. Cette lutte sanguinaire et primitive voit les adversaires s’affronter avec une sauvagerie et une bestialité rares, massacrant les femmes et les enfants avec la plus grande cruauté. L’auteur nous rappelle aussi combien la proximité avec l’Afrique du Sud est encombrante, les rebelles de l’ANC utilisant le pays comme base arrière de leurs opérations où ils sont pourchassés comme des bêtes sauvages par des commandos spécialisés.
Dans ce contexte de haine, de violence, de vengeance et de frustration, la seule solution qui reste et de quitter le pays pour rejoindre le Portugal où l’on peut toujours vendre son corps ou trafiquer n’importe quel produit pour vivre une vie de rêve. Dans un tel contexte la morale prend une tournure bien particulière.
Ce livre est aussi un appel au secours des femmes africaines qui subissent cette situation avec la plus grande acuité devant, de plus, supporter une nouvelle forme d’esclavage domestique avec son cortèges de malheurs, maris volages et peu scrupuleux, violences corporelles, déconsidération, exploitation, etc.. toute la panoplie de la femme ravalée à un niveau quasi animal figure dans ce récit. Tous les hommes sont mauvais, aucun n’est peint sous un jour favorable et pourtant un rai de lumière perce dans cette noirceur asphyxiante et pourrait laisser entrevoir un peu d’espoir en un avenir meilleur.
Ce psy à la dérive fit appel à un porte-parole pour soigner sa communication. A partir de ce jour, les patients guérirent dix fois plus vite de leurs névroses. Un autiste devint DRH et un fétichiste du pied marchand de chaussettes, un claustrophobe trouva un job de réparateur d’ascenseur et un arachnophobe, un boulot de retisseur de toiles d’araignées. On parla même de miracle.
Le psy alla mieux et reçut, sans intermédiaire, sur la plage où il prenait ses vacances des naturistes cherchant à recouvrir leurs parties intimes, des pratiquants du BDSM voulant retrouver une sexualité vanille, des plagistes aspirant à se défaire de la maladie du sable entre les doigts de pied, des vendeurs de glace souhaitant se reconvertir dans le commerce des marrons chauds, des été rosses réclamant le mirage pour tous. Face à la mer, les guérisons allaient bon train.
Le psy écrivit un livre que son communicateur vendit dans les médias. Une patiente de la première heure, addict des écrans, qui avait juré d’avoir la peau, même hâlée, du thérapeute assista à ce déballage. Elle se rendit un jour au cabinet, armée jusqu’aux dents. C’est le porte-parole qui prit les balles et les lames.
Dans les médias, le psy eut toutes les peines du monde à communiquer, mais cela n’était pas nouveau. Il continue toutefois de prendre en charge la malheureuse à l’hôpital psychiatrique où elle a échoué et il n’est donc pas exclu, pour la moralité de cette histoire courte, qu’elle parvienne un jour à ses fins.
« Il ne faut pas montrer sur la scène un fusil si personne n'a l'intention de s'en servir. »
Anton Tchekhov
L’homme qui arrive sur scène est porteur d’un étui. Il en sort un fusil. Il regarde longuement le public avant d’épauler l’arme et de pointer un spectateur puis un autre et encore un autre. Il balaie ainsi la salle, il finit par incliner l’arme et poser la crosse au sol en prenant soin de caler son menton sur l’extrémité du canon. On sent qu’il a répété ce geste longtemps, qu’il ne souffre aucune erreur.
Quand, enfin, il tire, la tête fait dans un silence de mort et une belle gerbe rouge une courte parabole entre la scène et la salle. Au moment où elle aboutit dans les bras d’un spectateur du troisième rang, les applaudissements fusent. C’est vers lui que le directeur de théâtre se précipite pour lui remettre un ticket d’entrée gratuite pour le prochain spectacle : Une pendaison.
Louis MATHOUX, journaliste et écrivain, me présentera au Grenier Jane Tony situé au café "La Fleur Café en Papier Doré", lieu mythique de rencontre des figures de proue du surréalisme belge.
Où? Rue des Alexiens, 55 à 1000 Bruxelles, à deux pas du siège du PS, Boulevard de l'Empereur, et près de la place du Sablon.
Quand? Le samedi 5 octobre 2013 à 16 h.
Lectures et autres surprises... Entrée gratuite. Venez nombreux(ses)!
La page Facebook de l'événement est ici:
https://www.facebook.com/events/233702410118505/
Le blog du Grenier Jane Tony:
http://grenier-jane-tony.blogspot.be/
Le Grenier Jane Tony, vu pas Jean C. Baudet:
http://jeanbaudet.over-blog.com/article-un-apres-midi-de-pure-poesie-a-bruxelles-120060367.html
Petite présentation des protagonistes de l'après-midi...
Louis MATHOUX est né à Nivelles. Il entre comme journaliste rédacteur à l’hebdomadaire Dimanche en 1997. Son livre d’entretiens avec Monseigneur Léonard, évêque de Namur et futur archevêque de Malines-Bruxelles, paraît en 2006. La traduction en néerlandais de cet ouvrage, parue en 2010, provoque une polémique internationale. Il a aussi écrit une biographie de Justine Henin.
Parallèlement à ses activités journalistiques, Louis a publié 7 recueils de poèmes et de proses poétiques de 1998 à 2010, dont 3 se sont vu octroyer une subvention de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Il est membre de nombreux cercles littéraires et publie régulièrement dans des revues littéraires belges et françaises, et a remporté, depuis 1995, 10 prix littéraires en Belgique et en France.
Il est considéré, par plusieurs critiques spécialisés, comme l’un des grands espoirs de la littérature belge francophone.
Il est un des animateurs du Grenier Jane Tony.
Son site:
Éric ALLARD est né un jour de carnaval, à Charleroi où il habite et travaille en tant que professeur de mathématiques.
Coanimateur d’une revue de poésie, Remue-Méninges, de 1983 à la fin des années 2000 (avec Antonello Palumbo, Salvatore Gucciardo et Pierre Schroven), il a publié des textes dans diverses revues papier ou en ligne.
Il est l’auteur de deux ouvrages de critique littéraire au Service du Livre Luxembourgeois, de quelques recueils.
Depuis 1999, il a créé un blog qui accueille des chroniques littéraires de Philippe Leuckx et Denis Billamboz ainsi que des textes d'auteurs, disparus ou bien vivants, qu'il apprécie et ses propres textes courts déclinés en différents genres.
par Philippe LEUCKX
Que le voyage soit, de bout en bout, le lieu, le thème, le support des poèmes nouveaux que Baglin propose aux Ed. Bruno Doucey, semble non seulement une fidélité à ses autres ouvrages mais une invite sûre à recueillir les nouveaux messages que le poète adresse à tous ceux qu’il suit depuis longtemps.
Né en 1950, publiant des poèmes et des proses depuis une petite quarantaine d’années, Michel Baglin entretient avec la poésie des relations privilégiées, dont rend bien compte la revue Texture qu’il dirige sur la toile.
Le titre de ce nouveau livre, architecturé en cinq parties toutes liées entre elles, dit assez la nostalgie qui embue le regard de celui qui voit le temps passer et nombre de fantômes aimés et aimants revenir garnir les rétines de la mémoire. Ainsi faut-il comprendre, encadrant le livre, les deux parties qui font surgir le passé et le présent. Aux images de « Faux départs » qui s’articulent autour des quais, des gares, des ports où l’on peut à l’envi musarder, répondent les nouveaux venus d’horizons étrangers, déjetés pour la plupart, trouvant çà et là parfois quelque réconfort mais aussi combien de déveines ! Le poète sait conter les réalités dérisoires d’un présent qui perd de ses valeurs, qui pollue, qui encrasse les âmes. Que répondre « aux tristes effigies de la mode » ? L’auteur questionne de plus en plus notre place ici-bas, notre rôle : qu’est-ce être, pour tout dire ?
Dans un lyrisme, légèrement démâté, le poète renfloue notre propre mélancolie face à un monde qui ne conserve des anciennes formes que le peu, le rien, et que la mémoire intacte de son auteur restitue. Ses découvertes de Paris, des petits quartiers impressionnent par leur justesse et l’on embraie avec lui, pour de réelles traversées. Le beau Paris, où l’on peut musarder ! Comme il semble à la fois proche et éloigné ! Comme le souvenir de Fargue et d’Hardellet traverse ces beaux poèmes (des sonnets parfois) que la rime – occasionnellement – remaille à la trame choisie. Dans ces longs poèmes, Baglin dit toute sa foi en la poésie et en l’empathie. Qui écrit semble si frère de ceux qu’il convie sous sa plume ! Nombre d’hommages et de dédicaces honorent les amitiés partagées et les soucis humanistes. Le « nous « résonne avec force et conviction.
Et puis qui a parlé souvent de trains, de quais, d’embarquements, sait confier au poème ses désirs de voyages et de départs. Mais tout n’est-il pas dit ? Vu l’âge ? Vu le temps qui lui reste ? On sent, prégnante, l’amertume gagner le sable des berges, et le cœur, lui, tient bon et nous vaut ces mains tendues, « pleines de poèmes » comme disait Aragon parlant du bon Carco.
Je vous invite à entrer dans ces poèmes fluides, qui prennent le temps de s’accorder au cœur qui pense, marche et regarde, qui dessinent du monde une image assez fidèle à toutes les tensions et attentions qui s’y nouent. C’est la beauté de ce livre, ouvert, fidèle.
M. Baglin, Un présent qui s’absente, Editions Bruno Doucey, 2013, 112 p., 15€.
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Le site des éditions Bruno Doucey:
http://www.editions-brunodoucey.com/
Le site de la revue Texture:
Ce numéro a été préparé par Jean-Jacques Nuel.
Au sommaire :
Stéphane Beau
Christian Chavassieux
Christian Cottet-Emard
Roland Counard
Grégoire Damon
Bernard Deglet
Christian Degoutte
Fabrice Farre
Jean-Marc Flahaut
Alain Helissen
Frédérick Houdaer
Hervé Merlot
Paola Pigani
Stéphane PratNuel - Modèles réduits.jpg
Pascal Pratz
Marlène Tissot
Les illustrations sont de Nicole Vidal-Chich
Les abonnés « + » recevront également le mi(no)crobe 41 Modèles réduits signé Jean-Jacques Nuel.
Pour tout renseignement, contacter Éric Dejaeger via son blog:
http://courttoujours.hautetfort.com/
Le blog de Jean Jacques Nuel:
Le 17 septembre 2013, sort Coeur à la Mer de Paul Guiot
Textes ciselés, sons chauds et boisés, musiques d'influence jazz ou sud-américaine.
La voix fait penser au Serge Gainsbourg des débuts ou aussi à Bertrand Belin.
Un album forcément classieux.
Tout sur l'album ici:
10 titres en écoute ici avec le graphisme adapté à chaque chanson
http://www.paulguiot.be/?q=album
Dessous la cendre inerte
exhume le poème
au goût de sel à fleur d’écume
remontée des hauts-fonds de la langue
appareillant dans toute la matité
de tes silences noirs.
Ne colmate pas tes voies d’eau
laisse le ciel insinuer de suies
le reflet mensonger des images
tisse à mains nues
le filet qui s’évase
dans le courant lancé
comme un bouquet
de doutes.
Ils ont bégayé
à la fracture des mots
ont rougeoyé dans cette béance
se sont dit tu
se sont dit nous
et puis n’ont plus su
à qui s’adressaient
leurs premières lèvres.
Claude Miseur à ACTU-tv
+ de textes de Claude Miseur sur son tout nouveau blog:
http://claude-miseur.blogspot.be/
Voir aussi la page Google+ de Claude:
Après des études classiques, entame le Droit et suit les cours de peinture dans l’atelier de Marthe Wéry et Pierre Carlier.
Familiarisé avec la poésie depuis la tendre enfance par une mère qui récite et déclame poèmes et pièces de théâtre), écrit des textes poétiques remarqués par Jane Tony et aussi entre autres, par Pierre Seghers qui l’encourage à poursuivre. Est membre du Pen Club, du « Grenier Jane Tony » et adhère au « Cercle de la Rotonde ».
Bibliographie
Variations et Sortilèges – aux Editions Novelas. Livre d’artiste illustré par Patrick De Meulenaere.
- En recherche d’éditeur pour : Ces mots que la rosée déchire.
Textes publiés régulièrement dans diverses revues :
Les Elytres (Bruxelles), Les Chemins de Traverse (Fr), Traversées (Virton), Bleu d'encre.
"Paroles en archipel" in Le Journal des Poètes, n°3, 2012.
par Denis BILLAMBOZ
Aujourd’hui, je voudrais évoquer, deux auteures qui ne bénéficient pas de la lumière des médias et qui ont cependant, chacune, écrit des ouvrages qui méritent beaucoup mieux que la publicité qui leur est réservée. Edmée et Armelle sont des amies que j’ai rencontrées sur la Toile, grâce à leur seul talent littéraire, j’ai lu certaines de leurs œuvres, et dans ma chronique de ce jour je voudrais établir un parallèle entre deux de leurs œuvres qui laissent chacune sourdre l’amertume qu’elles ressentent, toutes les deux, vis à vis de l’humanité au moment où la vie leur a déjà apporté une expérience suffisante pour prendre un certain recul et faire un premier bilan de leur existence. Deux beaux textes pour une belle leçon de vie.
De l’autre côté de la rivière, Sibylla
Edmée de Xhavée
Dans une bourgade wallonne, au XX° siècle, Emma et son frère Jean perdent rapidement leur mère, mal mariée avec un fils de commerçant, et sont récupérés avec autorité par leur grand-père maternel, ancien colonel, qui les confie à son autre fille qui manque de prétendants suffisamment élevés dans la société pour échapper au célibat. La tante impose une éducation draconienne, comme l’exige leur rang social en y ajoutant, cependant, une part de la vengeance qu’elle voudrait rejeter sur tous ceux qui pourraient-être responsables de son bien triste sort de vieille fille. Seule Sibylla, la gouvernante qui raconte l’histoire, adoucit du mieux qu’elle le peut la rudesse de l’éducation imposée par la tante aigrie par une vie sans amour.
C’est la vie difficile, douloureuse est parfois même cruelle de ces deux enfants qu’Edmée met en scène dans ce livre avec ses mariages sans réel amour, ses accidents, un peu trop nombreux à mon goût, ses guéguerres et ses rivalités de personnes, de familles, de clans, … Ces enfants mettront longtemps avant de sortir du carcan familial et de suivre le chemin de leur mère qui avait préféré la liberté et la joie de vivre à une vie de riche douairière austère et triste ou de banale commerçante enrichie.
Ce roman rappelle évidemment le précédent écrit par Edmée, « Les Romanichels » : même milieu rural, même société provinciale, mêmes difficultés récurrentes pour les femmes essayant de s’extraire du carcan familial, mêmes rivalités entre une aristocratie anachronique et une bourgeoisie enrichie mais cette fois ce n’est pas seulement le sort des femmes qui est disséqué, c’est l’éducation des enfants et leur construction pour devenir adulte qui est au centre de l’œuvre.
Edmée est très à l’aise dans la dissection des relations dans les couples qui sont presque toujours mal équilibrés. Elle ne semble pas beaucoup croire, dans ses livres, à la pérennité des couples qui explosent presque toujours par manque d’amour. Ainsi le couple n’est même plus un refuge contre les cruautés de la vie, les femmes se retrouvent souvent seules face à un destin qui est souvent contraire et parfois même cruel. On dirait qu’Edmée est un peu désabusée et qu’elle regarde la vie avec un regard à la fois amer et acide comme si elle souffrait encore de blessures mal cicatrisées. Cependant, elle ne sombre jamais dans un pessimisme outrancier car elle réserve toujours une porte de sortie agréable à ceux qui savent aimer par amour ou amitié. Le bonheur et la joie sont possible dans l’œuvre d’Edmée mais seulement à ceux qui ont payé un lourd tribut de douleur et de sacrifices.
Un livre sombre, plus sombre que le précédent, comme si l’auteur perdait un peu de son enthousiasme en considérant l’évolution actuelle de la société. Mais, l’espoir n’est pas mort les sages sauront dénicher le bonheur dans les recoins de notre monde.
Le blog d'Edmée de Xhavée: Laissez-moi vous écrire:
http://edmeedexhavee.wordpress.com/
Le jardin d’incertitude
Armelle Barguillet Hauteloire
Ce texte, au début, policé, académique, lisse, fluide, à peine vieilli, comme un vieux livre qu’on relit à la manière dont on réécoute un ancien vinyle adulé bien des années auparavant, prend progressivement un ton plus ferme, plus dur, balançant même entre cynisme et désillusion. Mais c’est, avant tout, à mon avis, un livre, non pas testament car il y en aura certainement d’autres sous la plume d’Armelle, mais tout de même un livre bilan qui pourrait révéler en filigrane quelque douleur mal éteinte ou des plaies pas totalement cicatrisées. Un récit qui laisse apparaître une certaine dose d’amertume vis-à-vis de l’humanité trop pragmatique, pas assez affectueuse, pas assez généreuse, pas assez désintéressée, et même une pointe d’aigreur et un peu de déception. Un texte d’un réalisme presque froid montrant les limites des espérances juvéniles qui se brisent inéluctablement sur les travers de l’humanité. Je sais que ce livre a connu une première ébauche il y a déjà bien des années et je suppose que le changement de ton peut être imputé au temps qui s’est écoulé entre le début et la fin de la rédaction de ce roman.
Sur les bords de la Loire, dans son manoir décrépit, Anne-Clémence, une jeune femme qui a vu les siens partir ou disparaître, écrit ses souvenirs : son enfance avec ses parents et sa grand-mère entourés d’une importante maisonnée, son départ à Paris, ses études, son premier amour, son mariage, sa volonté, ses espoirs, l’échec de ce mariage… Elle décrit un monde, comme celui de Proust, qui tire vers sa fin, une société en voie de disparition, une aristocratie qui passe la main à la bourgeoisie enrichie dans les affaires. Pendant ma lecture, à un certain moment, encore vers le début, je lisais tranquillement sans me préoccuper réellement de l’auteur mais plutôt du texte quand j’ai eu comme l’impression d’être à Combray, ou dans Combray dont je lis parfois quelques pages avant de m’endormir. J’ai ressenti cette même douce nostalgie, cette même musique dans le texte, cette atmosphère à la fois familiale et campagnarde. Armelle ne peut pas dissimuler son admiration pour le maître, elle est écrite dans le marbre du texte.
Anne-Clémence explore son arbre généalogique où elle ne trouve pas que de la tendresse, elle y rencontre aussi de la dureté et même parfois un peu de cruauté. Un arbre généalogique double : celui de l’état civil et celui qui se construit dans les draps où ailleurs où les corps peuvent s’unir au risque de procréer ; Armelle n’hésite pas à soulever la couette pour exhiber toutes les turpitudes qui animent la vie et gouvernent souvent le monde
Avec son écriture fluide et souple coulant comme un frais ruisseau normand charriant des mots que nous avons presque oubliés, des mots goûteux, gourmands, qu’on déguste avec un grand plaisir tant le vocabulaire est riche, Armelle raconte la fin de cette société campagnarde, l’avènement d’un monde nouveau où les jeunes femmes comme Anne-Clémence ont bien des difficultés à trouver leur place. Elle a aussi un art consommé du portrait, de l’analyse psychologique et un vrai talent pour évoquer la sensibilité aussi bien que les émois de la chair. Toutes les qualités nécessaires pour dessiner le parcours initiatique d’une jeune fille née d’une famille qui avait vécu plus pour les apparences de son rang que pour ce qu’elle était réellement.
Armelle a bien compris ce que d’autres comme moi pourraient objecter après la lecture de ce roman, aussi a-t-elle pris les devant pour désamorcer les critiques : « Certes, je veux bien admettre que tout a déjà été conté, des bonheurs et malheurs de l’homme, de ses amours et de ses désamours, des guerres et de leurs conséquences, mais je crois que nous sommes arrivés à la fin d’un monde ou d’une civilisation et que chaque moribond est en droit d’être veillé ». Alors veillons en cherchant quelques certitudes dans ce jardin où le vice fleurit hélas mieux que la vertu.
Le blog d'Armelle Barguillet: Interligne
http://interligne.over-blog.com/
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Dorénavant, Denis BILLAMBOZ écrira aussi des articles sur Benzine Magazine:
Le premier est consacré à MUETTE d'Eric Pessan (éd. Albin Michel):
Maths actives
Cédric Villani, ce mathématicien charismatique à la vêture excentrique, raconte trois ans de sa vie (de mars 2008 à février 2011) de chercheur en mathématiques. On a l’impression qu’il est béni des dieux tant il accumule les prix, les bonnes rencontres. Mais on comprend, à la contemplation (plus qu’à la lecture !) d’une page d’équations, qu’il y a derrière ces manifestations d’heureux hasard, un talent scientifique hors du commun, doublé d’une belle capacité de travail, qui l’ont fait accéder au panthéon des mathématiciens en remportant, en 2010, la Médaille Fields, suprême récompense des mathématiciens de moins de 40 ans, et devenir directeur (dès avant l’obtention de son prix) de l’Institut Poincaré à Paris.
...
La suite de ma lecture du livre de Villani sur ESPÈCES DE MATHS.
Rythme cosmique
Les embryons surgissent
De l’amas de feu
Sur les nappes flottantes
L’harmonie cosmique
Projette sa semence
Les sources du ciel
S’irriguent
Sur les terres basaltiques
Les grappes végétales
Apparaissent
Dans l’infinitude astrale
Vénération
Les étoiles
Sont des ponts
Des orbites de paix
Des routes vipérines
Illustrant
Une vie recroquevillée
A l’affût
D’un port
L’homme navigue
Vers une lueur salvatrice
Il compare son monde
A celui de l’univers
Il vénère
La mère cosmique
Qui l’a conçu
En s’accouplant
Avec l’astre solaire
Vertiges
La rizière s’évanouissait
Dans le silence du frimas
La ligne verticale
Dessinait une courbe
Dans la pénombre
Du jour
Dyslexie énergétique
Collision des corps
Essoufflement hétéroclite
Le chaos envahissait
L’harmonie vitale
Un festin barbare
S’imposait à vous
Éclatement fusionnel
Confusion des éléments
Vertiges compacts
La nature
Imposait son chant guerrier
Vibrations
Epinglons le vent
Aux éléments
Refoulons la négation
Afin de caresser
Les ailes du savoir
On orchestre la fluidité
Pour faire surgir
Les émotions
Géographie obsidienne
Sur la nappe basaltique
Les volutes de fumées
S’évanouissent
Dans les bras de la spirale
Tout un peuple se réveille
D’un sommeil séculaire
Pour initier les enfants
Aux vibrations de l’univers
Ondulations
L’ombre agresse
La musicalité de l’âme
Identité perturbée
Par les méandres
De la vie
Epilepsie verbale
Profusion de l’orbe
L’enfant des brumes
Serpente des terres abruptes
La marée s’excite
A l’horizon
La tour de Babel
Au sein d’une assemblée
Abondance aquatique
Le granit et le torrent
La flamme révèle
L’énigme humaine
Source obscure
Dans l’étincelle de l’astre
Le corbeau agite
Le poids des ailes
Embrassement de la pensée
L’écho de Dieu
Au cœur de l’homme
La puissance de l’esprit
Visualise
La surface du monde
Parcours
Ornement noir
Sur fond de neige
Le doute
La liberté
L’élan utopique
De l’artiste
Exaltation d’idées
Engagement de l’être
Le récit d’un homme
Voué au combat
Vie ébranlée par une passion
Cendre et fumée
Cheminement solitaire
Gestation souterraine
La voix du gouffre
Sur la fresque sublime
Roulement de tambour
Les yeux écarquillés
Du combattant
Sombre geôle
Narrations épiques
L’ombre et le serf
Aux sources
Abyssales
On structure
Le rêve
Dans la lumière
Salvatrice
Rafales
Quand le poids de la vie
Étale sa lourdeur
Et que les rafales
De l’automne
Brisent les branches
De l’arbre
Le vent violent
Bat les persiennes
De la demeure fragile
La rougeur des frissons
Se replie
Dans l’antre phosphorescent
Les veines marbrées
Envahissent
La lumière du jour
Ruissellement
Les lueurs incandescentes
Illuminèrent
La colonne opaline
Sous la pluie d’étoiles
Les couleurs mordorées
Embrassaient
L’aube frissonnante
Volute de fumée
Dans le matin humide
Les gouttes d’eau
Ruisselaient
Sur les nervures
Des feuilles
Et se perdaient
Dans la terre argileuse
Peintre, poète, dessinateur et illustrateur autodidacte, Salvatore GUCCIARDO est né le 8 septembre 1947 à Siculiana (Agrigento) en Italie. Vit en Belgique depuis 1955. Après plus de 40 ans d’activité artistique, de rencontres enrichissantes et amicales, telles que celle de Marcel Delmotte, Aubin Pasque, Jean Ransy, Thomas Owen, Roland Villeneuve, Claude Lyr ou Jacques Collard, Salvatore Gucciardo se voit récompensé de plusieurs prix artistiques et titres honorifiques, tant en Belgique qu’en France et en Italie. Il a plus de quarante expositions personnelles à son actif. Il figure dans plusieurs dictionnaires, anthologies, catalogues édités en Belgique, France, Italie, Angleterre, Amérique. Il a illustré des contes, des romans, des recueils de poèmes, des revues… Ses œuvres ont été acquises par le Musée Royal des Beaux-Arts de Charleroi, le Musée des Arts plastiques et graphiques de Mouscron, par la ville de Bruxelles, la ville de Châtelet, la Province de Hainaut, la ville de Montermurlo (Italie), le Centre Culturel la Posterie à Courcelles, la Région Wallonne.
LYRISME COSMIQUE, le recueil de poèmes de S. Gucciardo:
http://traversees.wordpress.com/2012/04/26/salvatore-gucciardo-2/
+ de poèmes, de dessins et de peintures
sur le site de Salvatore GUCCIARDO:
REMUE-MÉNINGES est une revue carolo créée au début des années 80 par Antonello Palumbo et quelques amis, Christine Bodart, Colette Berger, Guy Demanet... Dès 1983, et surtout après le décès inopiné d'Antonello en 1993, et jusqu'en 2009, la revue a été coanimée par Pierre Schroven, Salvatore Gucciardo et moi-même.
Comme la revue n'a jamais possédé de site ou de plate-forme numérique, je rendrai compte ici d'une partie des dossiers que j'ai constitués et des interviews que j'ai réalisées.
En mai 2009, je participe en tant que figurant au tournage de Monsieur, réalisé par J.-P. Toussaint, à partir de son roman. Peu après, je lui adresse par courrier postal un questionnaire, je rédige une petite analyse de son univers artistique constitué alors de deux films et de trois romans ainsi qu'une interview promenade dans laquelle je mêle à ses réponses des extraits de ses précédents romans. Depuis, Jean-Philippe Toussaint a décroché le Rossel pour La Télévision (1997), le Médicis pour Fuir (2005) et il est pressenti cette année pour le Goncourt.
Au sommaire du Remue-Méninges n° 18 figuraient aussi Marcel Mariën, présenté par Pierre Schroven, et Karel Logist, présenté par Antonello Palumbo.
E.A.
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Mai 89. Bruxelles. Restaurant de la Cité Administrative. On installe les figurants aux tables; on nous sert des pommes de terre congelées et quelques feuilles de salade. Jean-Philippe Toussaint très grand, en jeans et chemise blanche, arpente, cigarette aux lèvres, le travelling aménagé le long de la baie vitrée avec une nonchalance qu'on devine inquiète. Il endosse un veston, l'enlève, le remet, échange quelques mots avec Jean-François Robin, son directeur de la photo, un sourire avec Dominic Gould, son comédien, dont on retouche le maquillage avant le tournage. Une voix féminine annonce le début du plan. Action!... "Monsieur", en complet-veston noir, parcourt avec un plateau chargé l'espace le séparant du buffet au bout du restaurant (pour s'apercevoir qu'il n'y a plus de place î) pendant que dans la salle, les convives agitent leurs couverts dans leur assiette et conversent afin de rendre l'ambiance d'un temps de midi. J-P Toussaint fait du cinéma...
A la fin du tournage nécessitant la présence des figurants a lieu une tombola à leur intention chapeautée par Alexandra Stewart (la Dubois-Lacour du film). J'approche Jean-Philippe Toussaint qui se propose de répondre immédiatement à mes questions. Surpris de cette acceptation soudaine, l'ami qui m'accompagne court chercher le dictaphone resté dans la voiture pendant que Jean-Philippe Toussaint, surpris de voir fuir mon ami, me demande le but de sa course...
Il s'assied sur le rebord bétonné pour dire ses préférences littéraires, pour dire qu'il est heureux de l'adaptation cinématographique de son premier roman par John Lvoff toujours pas distribué en Belgique. D se montre étonné de l'éloge de la critique à son égard mais l'accueille favorablement. Nous le remercions vivement et le laissons à la suite du tournage. En rebobinant la cassette, nous constatons que, dans notre précipitation, une mauvaise manoeuvre nous a empêché d'enregistrer la voix de l'auteur à l'instar de l'appareil-photo de son dernier roman qui n'enregistre pas l'image du narrateur.
A la sortie de son film, en ce début d'année, je le recontacte par écrit en lui proposant un choix de questions auxquelles il se prête aimablement à répondre de Madrid où il écrit son quatrième livre... (A certaines questions de l'interview, J-P Toussaint a répondu par un "?" que j'ai reproduit tel quel ici. Les extraits de roman ont été choisis a posteriori.)
E.A.
LE PETIT MONDE (ROMANESQUE) DE JEAN-PHILIPPE TOUSSAINT
"Lorsque j'ai commencé à passer mes après-midi dans la salle de bain, je ne comptais pas m'y installer; non, je coulais là des heures agréables, méditant dans la baignoire, parfois habillé, tantôt nu." Ainsi s'ouvre le premier roman de Jean-Philippe Toussaint paru en 1985 chez Jérôme Lindon, aux Editions de Minuit. Cet auteur dont on dit qu'il s'est découvert tardivement (?) une vocation d'écrivain impose un ton neuf qui va très vite faire école (avec entre autre Jean Echenoz et Patrick Deville).
D'emblée, le narrateur est placé dans le temps de son histoire et dans le lieu à partir duquel elle va se développer, comme dans ses romans suivants : "Monsieur" et "L'Appareil-Photo".
"Dans le domaine de la physique, pour exprimer la date, il est nécessaire de définir une origine des temps et lui attribuer conventionnellement la date zéro" dit Monsieur dans son second roman.
Cette entrée en matière n'est pas sans rappeler les premières phrases de "Molloy", roman d'un auteur apprécié de Toussaint, Samuel Beckett : "Je suis dans la chambre de ma mère, c'est moi qui y vis maintenant. Je ne sais comment j'y suis arrivé."
Le narrateur de Toussaint est mis dans une position qu'il n'a pas voulue, dont les coordonnées spatiales et temporelles lui échappent momentanément mais avec lesquelles il va bientôt jouer. A l'encontre de "Molloy", le lieu d'origine n'est jamais, chez Toussaint, chargé affectivement (salle de bain, bureau administratif, école de conduite).
La suite des lieux de passage (chambres d'hôtel, d'ami(e)... ) où vont séjourner les divers narrateurs (à part "Monsieur", les romans sont écrits à la première personne) peut être interprétée comme le signe de la quête, justement, de ce lieu originel -contenant "toute l'étendue de l'immobilité"- duquel ils ont été, dans un temps précédent celui du roman, exclu...
L'attitude désinvolte des personnages pourrait laisser croire que c'est la vie qui impose son cours à leur destinée, alors qu'en vérité ils ne font que déployer des ruses de savant pour déjouer ses pièges, et retourner à leur avantage les situations souvent embarrassantes qui se présentent à eux.
"Elle se méprenait en effet sur ma méthode, à mon avis, -dit le narrateur de l'Appareil-photo-, ne comprenant pas que tout mon jeu d'approche assez obscur en apparence, avait en quelque sorte pour effet de fatiguer la réalité à laquelle je me heurtais, comme on peut fatiguer une olive par exemple."
C'est la réalité qui s'épuise à la "résistance passive" des personnages pour épouser peu à peu la forme que leur fait prendre leurs pensées. Toutes les occasions leur sont, de fait, prétexte à se retrancher dans le monde "délicieusement flou et régulier" de leur esprit en quête de la "tranquillité de l'âme" à laquelle ils aspirent. (Les lectures de Monsieur, dans le film, font toutes référence à ce thème). La fourchette dont se servent les personnages pour fatiguer l'olive de la réalité est le regard proprement spirituel ("Le regard, dit Monsieur. Une vue de l'esprit, oui !") qu'ils posent en permanence sur le monde extérieur, et qui les fait voir l'absurdité ou le burlesque des événements les plus ordinaires, quand ils sont considérés en dehors de tout contexte et de toute visée pratique.
Les personnages tendent à la neutralité mais concèdent volontiers à leur entourage des parts de leur liberté d'action par crainte d'afficher clairement une attitude qui perturberait le monde qu'ils sont occupés d'observer. Sous leur regard, tout devient anecdotique ("Monsieur, un puits d'anecdotes "), somme d'histoires autonomes, incapables de pénétrer leur âme, et au bout du compte, inoffensives. Ils ne sont jamais enfermés dans une physionomie, un caractère assigné, un domicile fixe, une condition sociale contraignante ou même un nom. S'ils se trouvent par la force des choses dans des "situations bloquées", ils n'en gardent pas moins la possibilité de s'en échapper, ne fut-ce que par la pensée, de se fuir...
"Je pensais, oui, et, lorsque je pensais, les yeux fermés et le corps à l'abri, je simulais une autre vie, identique à la vie dans ses formes et son souffle, sa respiration et son rythme, une vie en tous points comparable à la vie, mais sans blessure imaginable, sans agression et sans douleur possible, lointaine, une vie détachée qui s'épanouissait dans les décombres exténués de la réalité extérieure." (L'Appareil-photo).
Leur présence est tout intérieure, pour ainsi dire flottante, à la façon d'un corps immobile sur l'eau qui n'en est pas moins affecté par les chocs ondulatoires se produisant à la surface.
Les personnages sont célibataires ("Comme Paul Guth, une image du gendre idéal ") ou bien dans un état de déséquilibre affectif qui va les mener d'une femme à l'autre (parfois la même) après un détour par leur être comme si, pour (re)trouver une femme, ils devaient opérer une mise au point préalable sur eux-mêmes. Ils ne sont jamais si touchants, ces funambules, que lorsqu'ils basculent dans l'abîme des sentiments face auxquels ils ne peuvent opposer aucune stratégie apprise. Tous excellent par ailleurs dans les jeux de société (échecs, monopoly, ping-pong, scrabble, fléchettes,...), n'étant vraiment à l'aise que dans les divers types de représentation du monde.
L'épisode de l'appareil-photo volé par le narrateur de son troisième roman sur le bateau qui le ramène d'Angleterre est révélateur de cet itinéraire intérieur. Sur les photos prises par un touriste anonyme qu'il fait développer, le narrateur découvre, à l'arrière-plan d'un des clichés, la silhouette de la femme qui l'accompagnait. Cet épisode démontre aussi la quête d'identité qui s'empare du narrateur qui, photographiant ses pieds au hasard d'une course dans les couloirs du car-ferry, ne découvre, après développement, "qu'un cliché monochrome, sous-exposé avec, ça et là, - constate-t-il - quelques ombres informes comme d'imperceptibles traces de son absence."
Les trois premiers romans de Jean-Philippe Toussaint apparaissent comme autant d'énigmes à résoudre (théorème de Pythagore dans la "Salle de Bain", principe de Schrôdinger dans "Monsieur", sous-exposition du cliché dans "l'Appareil-photo"). La vie demeure pour ses personnages aussi mystérieuse que pour les enfants dont ils recherchent le contact afin de leur donner à comprendre les grands principes de l'existence. Il y a une volonté pédagogique bien terrestre chez ces Pierrots lunaires...car, somme toute, entre l'immobilité et le mouvement, le noir et le blanc, l'abstraction et la figuration, le non-sens et la causalité, ce qui les anime est la persistante question que pose l'étonnement d'être là, transpercé vivant par les fléchettes du temps présent.
La vie, pour Monsieur Toussaint, un jeu d'enfant?...
E.A.
INTERVIEW PROMENADE
DES GOUTS ET DES COULEURS...
"J'étais allongé, détendu, les yeux fermés. Je songeais à la dame blanche,
boule de glace à la vanille sur laquelle on épanche une nappe de chocolat
brûlant. Depuis quelques semaines, j'y réfléchissais, d'un point de vue scientifique (je ne suis pas gourmand) , je voyais dans ce mélange un aperçu de la perfection. Un Mondrian. (. . .)
Ce qui me plaît dans la peinture de Mondrian, c'est son immobilité. L'immobilité n'est pas l'absence de mouvement, mais l'absence de toute perspective de mouvement, elle est mort. La peinture, en général, n'est jamais immobile. Comme aux échecs, son immobilité est dynamique. Chaque pièce , puissance immobile, est un mouvement en puissance. Chez Mondrian, l'immobilité est immobile, peut-être pour cela est-qu' Edmondsson trouve que Mondrian est chiant." (La Salle de Bain, Minuit)
— Quels sont vos peintres préférés?
JPT - J'en oublie sûrement.
"Je me levai, mis un disque et allai me rasseoir. Ah quel bonheur à la porte du garage, quand tu parus dans ta superbe auto, papa, il faisait nuit mais avec l'éclairage, on pouvait voir jusqu'aux flancs du coteau. Charles Trénet, dis-je. Nous partirons sur la route de Narbonne, toute la nuit le moteur vrombira, et nous verrons les tours de Carcassonme se profiler à l'horizon de Barbera. Vous n'avez pas de disques de Franck Zappa? me demanda Pierre-Etienne avec une supériorité amusée. Non aucun, dis-je. Je terminai mon verre de whisky à petites gorgées et le déposait sur table." (La Salle de Bain.)
- Quel est votre genre musical préféré? Et dans ce genre, vos musiciens ou interprètes favoris?
JPT - ?
"J'avais acheté un bloc de papier à lettres chez le marchand de journaux et, dans ma chambre, assis à la grande table ronde, avait tracé deux colonnes sur le papier. Dans la première, j'avais inscrit le nom de cinq pays : la Belgique, la France, la Suède, l'Italie et les Etats-Unis et, à côté, dans la seconde, je consignais les résultats de mes parties de fléchettes. Après cette première phase, éliminatoire, j'organisai une rencontre entre les deux équipes nationales ayant totalisé le plus de points. La finale opposa laBelgique à la France. Dès lapremière série de lancers, mon peuple, très concentré, prit facilement l'avantage sur ces maladroits de Français." (La Salle de Bain.)
— Quelles sont les villes que vous aimez?
JPT - Rome, Ostende.
ROMAN, VOUS AVEZ DIT ROMAN ?
"C'est encore un des rares trucs qui lui aurait bien plu, ça, à Monsieur, peintre, comme parent d'élève du reste, dans le genre tranquille, une réunion par trimestre, ou écrivain, encore qu'aux mots il lui confia qu'il préférait la lumière (c1 était peut-être là son côté ouvert, oui, tourné vers la vie)." (Monsieur)
— Quels sont vos auteurs préférés? Vos principales "influences
littéraires"?
JPT - Beckett, Kafka, Flaubert, Nabokov, Gombrowicz, Proust, Bernhard. Je venais de lire Crimes et Châtiments lorsque j'ai commencé à écrire la toute première fois, je venais de lire L'Homme Sans Qualités quand j'ai écrit la Salle de Bain, Béton quand j'ai écrit Monsieur (il y a peut-être une influence de Bernhard dans ce livre, dans la manière de traiter la fin comme un début), et j'ai beaucoup relu Molloy et Lolita en écrivant l'Appareil-Photo.
"Autour de Monsieur, maintenant, c'était comme la nuit même.
Immobile sur sa chaise, la tête renversée en arrière, il mêla de nouveau son regard à l'étendue des deux, /' esprit tendu vers la courbure des horizons. Respirant paisiblement, il parcourait toute la nuit de la pensée, toute, loin dans la mémoire de l'univers, jusqu'au rayonnement du fond du ciel. Atteignant là l'ataraxie, nulle pensée ne se mut plus alors dans l'esprit de Monsieur, mais son esprit était le monde - qu' il avait convoqué. " (Monsieur)
— Vos romans traitent en filigrane de questions scientifiques et
philosophiques. Lisez-vous des ouvrages scientifiques, philosophiques?
JPT - Au moment d'écrire Monsieur j'ai beaucoup lu de livres de physique, je m'y suis énormément intéressé, comme un amateur. Je lisais des livres de physique quantique, qui traitaient de ('infiniment petit, et des livres d'astronomie qui traitaient de ('infiniment grand, de l'univers (j'avais d'ailleurs un télescope à ce moment-là dans ma maison en Corse).
— Que pensez-vous de l'appellation "nouveau nouveau roman",
mouvement dans lequel vous faites un peu figure de chef de file? En quoi
vous apparentez-vous (et/ou vous différenciez-vous) des auteurs du nouveau roman "traditionnel"?
JPT - Elle n 'est pas très heureuse, ne promet rien qui vaille pour ceux qui viendront après nous. Aurons nous un nouveau nouveau nouveau roman?
"De retour à l'hôtel, je me perdis dans les étages. Je suivais des couloirs, montais des escaliers. L'hôtel était désert; c'était un labyrinthe, nulle indication ne se trouvait nulle part. Au détour d'un pallier tapissé de liège, agrémenté déplantes vertes, je finis par retrouver le corridor qui menait à ma chambre." (La Salle de Bain).
- Votre univers romanesque vous semble-t-il apparenté d'une certaine façon à celui de Kafka?
JPT - J'ai beaucoup lu le Journal de Kafka, qui pour moi est un des meilleurs textes que je connaisse.
"Edmondsson me trouvait oppressant. Je laissais dire, continuais à jouer aux fléchettes. Elle me demandait d'arrêter, je ne répondais pas. J'expédiais les fléchettes dans la cible, allais les rechercher. Debout devant la fenêtre, Edmondsson me regardait fixement. Elle me demanda une nouvelle fois d'arrêter. Je lui envoyai de toutes mes forces une fléchette, qui se planta dans son front. Elle tomba à genoux par terre. Je m'approchai d'elle, retirai la fléchette (je tremblais). Ce n'est rien, dis-je, une égratignure." (La Salle de Bain)
—Vos romans sont très pudiques en ce sens qu'ils n'abordent les problèmes existentiels qu'au travers le burlesque, la dérision. Kundera dit en substance que le monde moderne nous a privés même du droit au tragique. Qu'en pensez-vous?
JPT - ?
— Pouvez-vous raconter en quelques mots l'idée inspiratrice d'un de vos romans?
JPT - Pour Monsieur, c'est le titre qui m'a inspiré, Monsieur.
"La vie, pour Monsieur, un jeu d'enfant." (Monsieur)
CINEMA & LITTERATURE
"Assis au bas de l'escalier, Kaltz avait tombé la veste, entrouvert la chemise. Le corps penché en arrière, il s'entretenait du cinéma italien avec le secrétaire d'Etat. Vous savez, il y a longtemps que je n'ai plus été au cinéma, disait le secrétaire d'Etat. Fellini, continuait Kaltz néanmoins, Comencini, Antonioni, ah Antonioni, ajoutait-il, Antonioni. Ecoutez, je n'ai plus tellement le temps d'aller au cinéma, disait le secrétaire d'Etat.
Moi non plus, hélaa, avouait Kaltz. Ils s'en plaignaient l'un et l'autre, en étaient attristés, finirent par songer à abandonner leurs fonctions." (Monsieur)
— Quels sont vos réalisateurs préférés?
JPT Welles, Chaplin, Bunuel, Lubitsch, Polanski.
— Qu'est-ce qui, selon vous, distingue fondamentalement l'activité
d'écrivain de celle de cinéaste?
JPT - Un écrivain fait des phrases, un cinéaste des plans.
— Hormis vos propres romans, quelle oeuvre ou quel auteur auriez-
vous aimé adapter au cinéma?
JPT ?
— Vous sentez-vous proche de la démarche d'écrivains cinéastes
tels que DURAS, ROBBE-GRILLET, HANDKE?
JPT Non
—Que pensez-vous de cette citation de KUNDERA (L'Immortalité); "Puisque l'essentiel dans un roman est ce qu'on ne peut dire que par un roman, dans toute adaptation ne reste que l'inessentiel. Quiconque est assez fou pour écrire des romans aujourd'hui doit, s'il veut assurer leur protection, les écrire de telle manière qu'on ne puisse pas les adapter, autrement dit qu'on ne puisse pas les raconter."?
JPT - Puisque l'essentiel dans un film est ce qu'on ne peut dire que par un film, quiconque est assez fou pour adapter des romans au cinéma aujourd'hui doit les filmer de telle manière qu'on ne puisse pas les raconter.
"Les gens, tout de même." (Monsieur)
- Lisez-vous, écrivez-vous des poèmes? Partagez-vous l'avis de GOMBROWICZ sur la poésie : "Pourquoi est-ce que je n'aime pas la poésie pure? Pour les mêmes raisons que je n'aime pas le sucre pur. Le sucre est délicieux lorsqu'on le prend avec du café mais personne ne mangerait une assiette de sucre : ce serait trop!"
JPT - Oui.
"Quand son thé fut prêt, elle me demanda en bâillant si j'en voulais une tasse. Sans cesser de lire, je lui dis que non, oulala. Une petite tasse de café, par contre, dis-je en refermant mon journal, je dirais pas non. Même du nescafé dis-je." (L'Appareil-photo)
- Peut-on envisager une adaptation théâtrale personnelle d'un de vos textes si l'occasion vous en était donnée?
JPT - Non.
"Selon Prigogine, en effet, la théorie des quanta a détruit la conviction que la description physique est réaliste et que son langage peut représenter les propriétés d'un système indépendant des conditions d'observations. " (Monsieur)
EN GUISE DE CONCLUSION...
- Vous souciez-vous de la critique en général? Partagez-vous l'attitude de Peter Handke s'abstenant de considérer toute autre critique que la sienne quand il écrit?
JPT - Oui. Je ne suis pas sûr de comprendre la deuxième partie de la question. S'il faut comprendre le "quand il écrit" comme "pour ses livres", non, je ne partage pas cette attitude. S'il faut comprendre le "quand il écrit" comme "au moment où il est en train d'écrire", alors, bien sûr, je partage cette attitude. Je ne fais jamais lire mes livres avant qu'ils ne soient complètement terminés.
- Votre prochain projet est-il d'ordre cinématographique ou littéraire?
JPT- j'ai commencé à écrire un livre.
"Hip. Hop. Et voilà,, ce ne fut pas plus difficile que ça." (Monsieur)
Propos recueillis par Eric Allard
MONSIEUR, le film
par Luc HONOREZ
"Passant de l'écriture à la réalisation, Jean Philippe Toussaint, dandy de l'ère Tandy, conserve intégralement le ton original de ses livres, donnant àses images (en noir et blanc, couleurs de la page et du caractère imprimé) un style à la fois zen et indolent, hypnotique et vibrant, insolemment visuel (c'est un film à voir plus qu'à écouter : c'est très rare dans le cinoche européen) et mélangeant les rythmes avec, souvent, dans le coin de l'écran, un gag qui passe tel un bonhomme de Chaval, de Sempé ou de Folon -c'est selon l'humeur du spectateur- ôtant chaleureusement son petit chapeau pour saluer notre désarroi devant cette mise en scène où il y a aussi bien mille histoires (celle du père réparant un moteur sur la table de cuisine, celle de l'ami corse de Monsieur, etc) qu'aucune. Humour, oui. Minimaliste. Pas à éclater de rire. Plutôt un sourire qui s'élargit sur le visage, s'élargit encore et finit par le couper en deux avec l'efficacité d'une lame de rasoir."
Extrait du journal "Le Soir" du 11/01/1990.
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Le site de J.-P. Toussaint
LONDON GRAMMAR est un groupe de Nottingham formé de Dot Major, Dan Rothman et d'Hannah Reid. Ils sortent leur premier album, If you wait.
"Le foudroyant Wasting My Young Years, chanson au passage de laquelle aucun poil d'avant-bras ne saurait rester insensible..."
"Une voix comme on n'en rencontre, au mieux, que dans les songes."
Christophe Conte
"Wasting My Young Years est d'abord une chanson de rupture. Mais je voulais également évoquer cette grande dépression qui couve dans la jeunesse anglaise, et sans doute aussi partout ailleurs. On ressent ça nous-mêmes, dans nos rapports avec les autres, à travers nos liens amoureux. Il y a quelque chose de tragique qui flotte dans l'air et qui est assez difficile à capter, car en même temps on reçoit beaucoup d'images d'une jeunesse euphorique, qui s'exhibe sur les réseaux sociaux, alors qu'on sent qu'en profondeur quelque chose ne tourne pas rond, que beaucoup de gens de notre âge ont l'impression de voir leur vie filer entre les doigts. Je ne suis pas concernée mais j'ai observé pas mal de mes amies victimes de tourments assez aigus. Je crois que nous vivons vraiment dans une époque tragique qui se maquille pour apparaître moins dépressive."
Hannah Reid
par Philippe LEUCKX
Trente-sept ans au compteur, auteur abondant de pièces de théâtre dont cinq ont été publiées, dont cinq autres ont connu l'honneur de représentations, et dont toutes les autres restent inédites, Gaëtan Faucer semble aimer se souvenir de deux patrons de la scène : Sartre pour l'ironie noire et Guitry pour les bons mots, les répliques assassines.
Le voilà publié une troisième fois, après "Off" au Chloé des Lys, après "Sous le pont" dans un recueil collectif chez Novelas, et de nouveau chez le même éditeur, "Divines soirées", un recueil de trois pièces.
Minimaliste théâtre par son nombre peu élevé de personnages et par les actions retenues, théâtre des trios, classique par les rencontres hasardeuses ou souhaitées, assez noir par ses surprises, le théâtre de Faucer désosse les pauvres vérités.
Si "Off" rappelait "Huis-clos" par ses ambiances, on retrouve dans "Divines soirées" l'influence sartrienne dans la première pièce "Spectacle mortel" où des morts cyniques devisent à l'envi. Dans
"L'appartement", des homosexuels se trompent et l'ultime séquence du recueil met en scène de gais amoureux.
Tristounet théâtre? Sans doute.
On y parle plus de mort, de machination, de leurre, que de vie. On y parle beaucoup pour se détester ou se délester, peut-être. Le poids des mots semble plus prégnant que celui des sentiments. Er si des êtres peuvent s'embrasser à pleine bouche, ils peuvent l'instant suivant être prêts au crime.
L'amateur de beaux mots, d'aphorismes, de scènes tendues trouvera ici matière. Puisque les personnages, avec leurs faiblesses, leurs tics, sont assez interchangeables : les hommes sont-ils plus veules ou négligeables que les femmes?
C'est un théâtre sans enfant, comme chez Sartre. C'est un théâtre presque sans devenir, sauf si l'on peut croire à la bluette de la troisième pièce ("Un dîner aux chandelles").
Il y a de l'amertume et de l'ironie. A revendre. Et une quête insensée de sens ; pourquoi vit-on ?
Théâtre décidément huis-closien jusqu'à l'usure?
Gaëtan FAUCER, Divines soirées, Novelas, 2013, 84 p., 12€.
http://home.scarlet.be/stcorp/novnet/index.html
par Philippe Jaccottet (1925)
Je sais maintenant que je ne possède rien
pas même ce bel or qui est feuilles pourries
Encore moins ces jours volant d'hier à demain
à grands coups d'ailes vers une heureuse patrie
Elle fuit avec eux, l'émigrante fanée
la beauté faible, avec ses secrets décevants
vêtue de brume. On l'aura sans doute emmenée
ailleurs, par ces forêts pluvieuses. Comme avant
je me retrouve au seuil d'un hiver irréel
où chante le bouvreuil obstiné, seul appel
qui ne cesse pas, comme le lierre. Mais qui peut dire
quel est son sens? Je vois ma santé se réduire
pareille à ce feu bref au-devant du brouillard
qu'un vent glacial avive, efface. Il se fait tard.
L'effraie et autres poèmes (1953)
Une lecture
Un entretien en 5 volets...
D'autres liens...
Olivier Barrot présente Paysages avec figures absentes:
http://www.youtube.com/watch?v=Ds0rYHDvfyM
Un entretien avec Philippe Jaccottet pour son 75ème anniversaire:
http://www.culturactif.ch/entretiens/jaccottet.htm
Textes et interview:
http://mfkwiz.webs.com/philippejaccottet.htm
Philippe Jaccottet, Carnets passés au tamis du temps:
+ de textes de Philippe Jaccottet:
Tout sur la chanson composée d'après une mélodie du Poème d'octobre de Massenet et entendue par bribes pour la première fois dans le film de Carné, Les Portes de la Nuit, sorti en 1946.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Feuilles_mortes
Orage
La fenêtre
un trou vivant où l'éclair bat
Plein d'impatience
Le bruit a percé le silence
On ne sait plus si c'est la nuit
La maison tremble
Quel mystère
La voix qui chante va se taire
Nous étions plus près
Au-dessous
Celui qui cherche
Plus grand que ce qu'il cherche
Et c'est tout
Soi
Sous le ciel ouvert
Fendu
Un éclair où le souffle est resté
Suspendu.
La réalité immobile
Le soleil rôdait encore autour de la maison
Quand on ouvrit la fenêtre
Les ivrognes sont toujours là
Mais la chanson qui montait à la nuit a cessé
Maintenant quelle voix m'appelle
Quelle douce voix appelle derrière le mur de droite
En riant
Les hommes sont là
Endormis
Et ce n'est pas la même bouche qui chante
Une femme au loin pousse un cri
Sur le bord du balcon ses doigts dépassent
Ils sont fins et pointus
Et ce sont ces doigts que je regarde
Pendant qu'on m'appelle
De tous les champs par tous les chemins
Les gens arrivent
En habits noirs
En habits gris
Et d'autres en bras de chemise
Une voiture emplit la route de poussière
La maison est bientôt pleine d'étrangers
Et comme personne ne chante
Les hommes se sont réveillés
La pendule s'est arrêtée
Personne ne bouge...
Comme sur les images
Il n'y aura plus de nuit
C'est une vieille photographie sans cadre.
Le soir
Jour à jour ta vie est un immeuble qui s'élève
Des fenêtres fermées des fenêtres ouvertes
Et la porte noire au milieu
Ce qui brille dans ta figure
Les yeux
Tristes les souvenirs glissent sur ta poitrine
Devant part vers en haut l'espoir
La douceur du repos qui vient chaque soir
Tu es assis devant la porte
Tête inclinée
Dans l'ombre qui s'étend
Le calme qui descend
Une prière monte
On ne voit pas les genoux de celui qui prie
Pierre Reverdy, Une vie aux aguets, par Gil Pressnitzer.
(sur Esprits Nomades):
http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/reverdy/reverdy.html
Une page Facebook consacrée à Pierre Reverdy:
https://www.facebook.com/pages/Profil-de-fil-de-fer-amer-Pierre-Reverdy/540464725977595?ref=stream
par Pierre Reverdy (1889-1960)
J’aurai filé tous les nœuds de mon destin d’un trait, sans une escale : le cœur rempli de récits de voyages, le pied toujours posé sur le tremplin flexible des passerelles du départ et l’esprit trop prudent surveillant sans cesse les écueils.
Prisonnier entre les arêtes précises du paysage et les anneaux des jours, rivé à la même chaîne de rochers, tendue pour maîtriser les frénésies subites de la mer, j’aurai suivi, dans le bouillonnement furieux de leur sillage, tous les bateaux chargés qui sont partis sans moi. Hostile au mouvement qui va en sens inverse de la terre et, insensiblement, nous écarte du bord : regardant, le dos tourné à tous ces fronts murés, à ces yeux sans éclat, à ces lèvres cicatrisées et sans murmures, par-dessus les aiguilles enchevêtrées du port qui, les jours de grand vent, du fil de l’horizon tissent la voile des nuages. En attendant un autre tour. En attendant que se décident les amarres ; quand la raison ne tient plus à la rime : quand le sort est remis au seul gré du hasard jusqu’au jour où j’aurais pu enfin prendre le large sur un de ces navires de couleur, sans équipage, qui vont en louvoyant mordre de phare en phare comme des poissons attirés par la mouche mordorée du pêcheur. Courir sous la nuit aimantée sans une étoile, dans le gémissement du vent et le halètement harassé de la meute des vagues pour, lorsqu’émerge enfin des profondeurs de l’horizon sévère le fronton limpide du matin, aborder, au signal du levant, l’éclatant rivage de la Grèce — dans l’élan sans heurt des flots dociles, frémissant parmi les doigts de cette large main posée en souveraine sur la mer.
Balle au bond, Éd. Cahiers du Sud.
Voyage en Grèce lu par Thierry Hancisse de la Comédie Française:
Départ
L’horizon s’incline
Les jours sont plus longs
Voyage
Un cœur saute dans une cage
Un oiseau chante
Il va mourir
Une autre porte va s’ouvrir
Au fond du couloir
Où s’allume
Une étoile
Une femme brune
La lanterne du train qui part
« Poèmes d’aujourd’hui pour les enfants de maintenant » (Éd. Ouvrières)
"Né à Narbonne en septembre 1889, Pierre Reverdy fonde la revue Nord-Sud, qui annonce le surréalisme, en 1917. Dès 1926, il se retire près de l’abbaye de Solesmes où il meurt le 17 juin 1960. Lui qui avait anticipé bien des avant-gardes s’éloigne quand des suiveurs plus tacticiens commencent à occuper le haut du pavé littéraire. Car la mise à distance est ce qui fonde son existence tout autant que son écriture. « La poésie, c’est le bouche-abîme du réel désiré qui manque », disait-il.
Son œuvre s’impose dans le siècle, solitaire et inégalée, au point que l’on a pu suggérer qu’il n’était pas poète : il était la poésie même."
Pierre Reverdy, Une vie, une oeuvre
Par Sophie Nauleau
https://www.youtube.com/watch?v=Rl3QdFAOtl0
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